Le goût amer de plusieurs végétaux est souvent évoqué pour justifier le peu d'attrait que suscitent ces aliments chez plusieurs personnes. Ça vaut pourtant vraiment la peine d'apprivoiser ce goût, car l'amertume reflète souvent la présence de molécules essentielles à la prévention des maladies. Une étude récente suggère même que les substances amères pourraient éventuellement contribuer à soulager l'asthme.
Alors qu'un nouveau-né accepte avec joie le sucre, il rejette complètement toute substance amère. Ce dégoût instinctif de l'amertume est dû à la place prédominante occupée par les végétaux tout au long de notre évolution : en effet, les molécules toxiques présentes dans certains types de végétaux possèdent la caractéristique commune d'être très amères, et la détection de cette amertume a donc joué un rôle très important dans l'identification des espèces végétales comestibles, sans danger pour la survie de l'espèce humaine. L'importance de cet instinct est bien illustrée par le nombre important de récepteurs capables de détecter l'amertume et par leur très grande sensibilité à d'infimes quantités de molécules toxiques : ainsi, alors que la perception du sucre ne fait intervenir que deux récepteurs, au moins cinquante récepteurs distincts perçoivent l'amertume, et ce, de façon au moins mille fois plus sensibles que le sucre !
UN GOÛT À APPRIVOISER
Cependant, et c'est là un des grands paradoxes de l'alimentation humaine, plusieurs composés amers présents dans les végétaux possèdent de multiples effets positifs sur la santé et représentent même l'une des principales armes à notre disposition pour la prévention des maladies chroniques. Les polyphénols complexes du thé vert ou de fruits comme la canneberge, les isothiocyanates des crucifères ou encore les composés soufrés des légumes de la famille de l'ail sont tous reconnus par les récepteurs de l'amertume, et cette propriété contribue à restreindre la consommation de ces aliments chez plusieurs personnes. Ce peu d'enthousiasme envers les substances amères peut être d'autant plus accentué que des variations interindividuelles génétiques rendent certaines personnes encore plus sensibles à l'amertume. Par exemple, on estime que 25 % des personnes possèdent une version modifiée de certains récepteurs de l'amertume (appelés TAS2R16) qui les rendent hypersensibles à cette saveur et les découragent de consommer des aliments amers.
Pourtant, l'amer possède une réelle valeur gastronomique et peut apporter un contraste de saveurs extrêmement intéressant lorsqu'il est combiné avec d'autres saveurs, créant une harmonie de goûts complexes impossibles à atteindre en son absence. Apprivoiser l'amer représente donc une victoire sur nos instincts primitifs, une évolution culturelle qui nous permet de franchir un obstacle majeur dans la recherche de nouveaux goûts et de bénéfices pour la santé auparavant inaccessibles. Il n'est donc pas étonnant que toutes les traditions culinaires du monde aient su élaborer plusieurs mariages de saveurs pour profiter des bienfaits de cette amertume. Par exemple, les Asiatiques, grands amateurs de l'amer, utilisent très souvent des aliments riches en glutamate (saveur umami) comme la sauce soya, les algues ou les champignons shiitake pour rehausser le goût des plats contenant des légumes crucifères.
DE L'AMERTUME CONTRE L'ASTHME?
L'asthme ainsi que les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO) sont des maladies pulmonaires graves qui affectent plus de 300 millions de personnes dans le monde. Ces maladies sont caractérisées par une contraction des muscles de la paroi des bronches qui entraîne un rétrécissement de leur calibre et réduit par conséquent le débit de l'air inspiré et expiré. Dans une étude récemment publiée dans le prestigieux Nature Medicine, des chercheurs ont rapporté la surprenante découverte de plusieurs récepteurs aux substances amères au niveau des cellules musculaires du poumon(1). Plus intéressant encore, ils ont observé que l'activation de ces récepteurs par des substances amères provoquait une relaxation des muscles (bronchodilatation) dans un modèle animal d'asthme !
Même si l'application de cette découverte au soulagement de l'asthme devait prendre encore quelques années, ces résultats sont une autre illustration des multiples impacts positifs que peut avoir l'amertume sur notre santé.